Mon grand père et ma grand-mère étaient des agriculteurs et comme beaucoup de paysans de la région à cette époque, ils n’avaient pas de terre pour s’établir après leur mariage. En 1914, ils louent une petite ferme à Octeville l’Avenel, la ferme de Byiville, mais cette location est provisoire et inadaptée. Mon grand-père apprend qu’à quelques kilomètres, la Cour de Lestre sera libérée par le fermier qui l’occupe. Un matin très tôt, il prend son vélo et part pour Isigny-sur-Mer où se trouve le bureau du régisseur (45 km x 2). les candidats sont nombreux mais il obtient le bail. Passer d’une petite ferme à une grande ferme constitue pour mes grands-parents un changement considérable. Ils savent que la ferme est difficile et que les charges y sont importantes. Ils ont été informés de ce qui est arrivé aux précédents fermiers qui n’ont pas pu se maintenir car ils rencontraient trop de difficultés, Ces derniers fermiers n’ont tenu que le temps d’un bail et ceux qui les avaient précédés n’avaient pas réussi non plus à rester plus longtemps. Il ne parvenaient pas à payer le fermage ni a faire face à tous les investissements et mise de fonds que nécessitent une grande ferme.
Le domaine est constitué de clos, de quelques champs ouverts et de prés marécageux dont les sols sont de qualité inégale. La terre située auprès de la ferme est de bonne qualité mais côté mer, il s’agit d’un sol marécageux difficilement utilisable en agriculture. Plus loin sur le plateau la terre est caillouteuse, sableuse et assez pauvre. Ce sont des sols très anciens (Trias meuble) et de valeur agronomique moyenne. Le domaine est parsemée de terres non cultivable composée d’anciens chemins creux, de bosquets, de roches et de marécages. Mes grands-parents, d’origine modeste, savent qu’ils s’engagent dans un projet difficile qui constitue un véritable challenge. Mais ils sont jeunes, courageux, travailleurs et compétents et ils se lancent dans cette aventure avec vaillance.
La ferme comprend les bâtiments agricoles et l’habitation. Comme la grande majorité des fermes, les bâtiments sont anciens : Ils datent de plusieurs siècles, principalement du XVIe et du XVIIe siècle, mais présentent dans certains murs des traces plus anciennes . Ils entourent presque tout l’enclos que forme la cour et sont composés d’étables pour vaches, veaux, cochons, d’une grange, d’un pressoir, d’une écurie et d’une querterie (bâtiment pour les véhicules à cheval) à quatre arcades, d’un pigeonnier ruiné et d’un grand jardin (environ 2,5 vergies) entouré de hauts murs. La maison est atypique comme habitation de fermier. C’est un manoir composé de deux ailes en équerre, l’une datant probablement du XVIe siècles, l’autre de la fin du XVIIe siècle ou du début XVIIIe. À l’intérieur, un escalier à vis en pierre relie les deux. L’ensemble est le fruit de plusieurs remaniements du manoir, des bâtiments agricoles, des clos et des chemins à cette époque. L’un des ces remaniements semble dater du « couchage en herbe » qui concerne la région à partir des années 1680.
Cent ans plus tard …
Malgré ces difficultés ma famille se maintient sur la ferme. Tout le monde dans la famille y contribue, soit dans les travaux agricoles soit dans la restauration du manoir. La maison n’a pas bénéficié de travaux depuis des décennies, il n’y a ni l’eau ni l’électricité. Pas de salle de bain ni de cuisine, encore moins de chauffage. Tout est installé progressivement par ma famille. Du fait de ces conditions difficiles, notre maintien dans ce lieu tient surtout des compétences de mes grands parents et parents, de leur capacité de travail et de leur résilience peu communes. Nos parents nous forment à l’adolescence à l’entretien et à la restauration de la maison, c’est ainsi que nous nettoyons, traitons les bois, peignons, tapissons, plâtrons, maçonnons, etc. Toute la famille s’engage dans de nombreux travaux manuels très formateurs. Pièce après pièce, nous réhabilitons la maison contribuant ainsi à la rendre habitable.
Cent ans plus tard nous pouvons regarder le chemin parcouru depuis l’arrivée de nos grands-parents. Leur décision a joué un grand rôle dans la destinée de notre famille dont l’histoire est dorénavant intimement liée à cette ferme.
La moisson
Jusqu’à l’arrivée des première moissonneuses-batteuses vers 1955 pour le Cotentin, la moisson restait scindée en deux opération bien distinctes : la moisson proprement dite composée du fauchage et de la récolte et le battage qui pouvait avoir lieu bien plus tard. Dès les années 1930, mon grand-père fait l’acquisition d’une batteuse à grand-travail et effectue le battage dans quelques fermes des alentours. Puis il commande une batteuse Brouhot qui lui sera livrée pendant l’Occupation, période de pénurie et de fermeture de certaines fabriques. La batteuse qui lui sera livrée sera la dernière à être fabriquée par Brouhot (Vierzon, Berry) pendant cette période. Avec cette nouvelle machine notre père développe une activité d’entreprise de battage et il parcours pendant six mois environ tout le Val-de-Saire (Nord-est de la presqu’ile du Cotentin)




Les labours
