Comme mes frères et sœurs, je suis né dans cette maison, dans la chambre de nos parents. Pour mes yeux d’enfant qui l’ont toujours connue, c’est une maison comme les autres. Nous rencontrons des difficultés particulières pour ouvrir certaines portes munies de clenches à poussier. L’usage de ses escaliers aux marches de pierre rudes, hautes et irrégulières est difficile et à l’origine de chute douloureuses . Mais c’est notre maison et on s’habitue tout naturellement à ses différentes pièces, au froid et à l’humidité qui y règne une grande partie de l’année. La maison est grande, j’attendrai l’âge de 14 ou 15 ans pour en connaitre toutes les pièces car certaines nous sont interdites. En particulier la chambre à coucher de la tante Odette et les greniers. Nous n’avons pas le droit non plus d’entrer dans la grande-salle sans la permission de notre grande mère. Cette pièce nous la connaissons mais notre grand-mère en règlemente l’accès. C’est une pièce qui n’est utilisée que lors des grandes occasions qui, ma grand-mère vieillissant, sont de fait très rares. Un jour je trouve tout un lot de vielles clés dans le grenier et me vient l’idée de les tester sur le serrure de la chambre de la tante Odette. Miracle, je parviens facilement à ouvrir la porte ! Quelle découverte que cette chambre où ni moi, ni mes frères et sœurs, n’avions jamais pénétré.
L’hiver de ma naissance, il fait très froid. Des records de froids sont atteints en ce début d’année 1963. Il gèle jusqu’à l’intérieur des chambres à coucher. L’urine se transforme en glace dans le pot. Maman doit se relever plusieurs fois dans la nuit pour changer la bouillote qui réchauffe mon berceau. Le cidre gèle dans les tonneaux pourtant abrités dans le cellier et le pressoir. La mer elle-même gèle partiellement et il est possible de ramasser des poissons morts sur la grève.
La Cour de Lestre 